La
répression linguistique en France ? Jamais entendu parlé !
Notre
époque nest décidément plus celle des chocs frontaux et des prises de position
trop affirmées. Lhabitude a été prise depuis longtemps dapaiser lopinion,
quitte à faire appel à un brin de désinformation. Et dans le débat sur les langues
minoritaires, qui ne fait bien entendu pas exception à cette règle, certains, sans doute
aveuglés par lamour de la patrie et tous désireux de présenter à leurs
concitoyens une image uniformément positive de la république, se laissent même aller au
plaisir de réécrire lhistoire et de tirer un trait sur 200 ans dune attitude
volontairement répressive.
Parmi
ceux qui nont pu se refuser ce plaisir, le professeur Bernard Cerquiglini, directeur
de linstitut national de la langue française et qui avait été chargé de dressé
la liste des langues minoritaires susceptibles de bénéficier de la protection de la
Charte européenne. Dans une interview publiée par le Nouvel Observateur du 1er
Juillet, celui-ci affirme en effet que la république na jamais souhaité la mort
des langues régionales : « il est parfaitement injuste dassocier lambition
républicaine à un projet éradicateur ». B. Cerquiglini nous peint une révolution
bienveillante envers les parlers locaux, les révolutionnaires se voient reconvertis en
sociologues intéressés, et labbé Grégoire, en bon scientifique, chargé de
dresser une nomenclature des patois et moeurs. Faut-il le rappeler, lattitude du
pouvoir central, qui se bornait à préférer le français sous lancien régime,
prit la forme dune répression officielle à partir de la révolution française. La
fameuse nomenclature commandée à labbé Grégoire reçut dailleurs lappellation
charmante de « Rapport sur la nécessité et les moyens danéantir les patois
et duniversaliser lusage de la langue française » et notre cher abbé
professait qu« il est plus important quon ne le pense en politique dextirper
cette diversité didiomes grossiers qui prolongent lenfance de la raison et la
vieillesse des préjugés ». (1)
Et
le professeur B.Cerquiglini, de poursuivre à propos de linjonction « interdit
de cracher par terre et de parler breton » : « cette fameuse affiche à
laquelle vous faites allusion je ne lai jamais vue ». Les hussards noirs de la
république ne sont plus des « tueurs sadiques de langues », mais de généreux instituteurs pétris de culture
locale. Faut-il rappeler lusage institutionnalisé du « symbole »(2), de
la délation, brimades et vexations par ces mêmes instituteurs dans le seul but de
supprimer lusage des parlers locaux ? Et que penser de laffirmation selon
laquelle le recrutement des enseignants « volontairement local », alors que la
francisation de la province nallant pas assez vite au gré des politiques de lépoque,
certains membres de léducation nationale suggérèrent justement dans les années
20 de faire nommer des instituteurs non-bretonnnants.
On
atteint des sommets, lorsque linterviewé affirme que « les circulaires de linstruction
publique recommandaient de sappuyer sur la culture et le langage du lieu pour les
leçons de géographie ». A. de Monzie, ministre de lInstruction Publique, ne
partageait manifestement pas le même engouement puisquil déclarait sèchement le
19 Juillet 1925 : « Pour lunité linguistique de la France, il faut que
la langue bretonne disparaisse ».
On
ne peut sempêcher de conclure ce tableau idyllique dune France se penchant
sur son beau patrimoine en citant le bienveillant Georges Pompidou, qui déclarait à
Sarre-Union en 1972 « Il ny a pas de place pour les langues et cultures
régionales dans une France qui doit marquer lEurope de son sceau » !
Nous
sommes donc loin du tableau dressé par le directeur de linstitut national de la
langue française. Une telle attitude pourrait prêter à sourire si elle navait
pour conséquence de passer sous silence le préjudice moral causé à tous ceux qui,
parents et grands parents, ont eu à vivre au quotidien ce « linguicide » tant
à lécole, quau travail ou dans leur vie de citoyen. Il leur a été demandé
dabandonner non seulement de manière explicite leur langue maternelle, mais
également de manière explicite leur culture, leur identité. Il ont du accepter de voir
dévaloriser leur condition de provinciaux ou de paysans, et ce souvent par les
provinciaux eux-mêmes. Mus par le sentiment dinfériorité qui en découla, ils ont
eu à saccommoder dune culture et de préoccupations essentiellement
parisiennes, tenant peu compte de leur aspirations et reléguant leur région au rang de
simple lieu de villégiature. Les deux dernières décennies ont heureusement vu larrivée
de jeunes générations moins marquées par ce complexe et plutôt motivées par la
culture de leur région.
Nul
doute que toutes ces générations apprécieront de voir niée cette partie de lhistoire
de la république
Ni Hon-Unan
(1)Pour
la période révolutionnaire, on pourrait citer également Barrère qui déclarait en 1794
: « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton, lémigration et la
haine de la République parlent allemand, la contre-révolution parle italien et le
fanatisme parle basque... ».
(2)Objet quelconque en bois ou fer à caractère vexatoire, parfois porté autour du cou, qui était remis à lélève surpris à parler breton et dont il nétait possible de se débarrasser quen dénonçant un camarade. La pratique du symbole dura jusque dans les années 50, les tracasseries administratives encourues par lusage de prénoms bretons jusque dans les années 70.